J’ai plutôt l’habitude de vous parler d’endroits légers, agréables, ensoleillés, de comparer arts de la table et qualité de service dans mes Carnets de Voyage. Pas dans ce billet.
En Septembre dernier, une de mes amies proches a proposé autour d’elle qu’on l’accompagne lors d’un voyage de la mémoire du Mémorial de la Shoah. Je ne savais pas que cela existait, donc je vais supposer que vous non plus, histoire de me sentir moins bête.
Tous les ans, le Mémorial de la Shoah organise 3 voyages identiques : départ un dimanche matin aux aurores (décollage 7h, donc 5h à Roissy…) en charter pour Cracovie, bus jusque sur le site de Auschwitz II – Birkenau, visite guidée, déjeuner en pique-nique apporté par les voyageurs dans le bus, visite guidée de Auschwitz – I, retour à Cracovie et à Paris vers 23h. Les visites sont encadrées par un guide polonais du site (francophone), et un accompagnateur du Mémorial. Les voyages sont ouverts à tous, indépendamment de la confession, de l’historique, de la génération (même s’ils déconseillent le voyage aux moins de 15 ans).
Cher-et-Tendre et moi avons accepté tout de suite. Bébé chez ses grand-parents, et hop, on pouvait le faire, bien sûr. Donc on l’a fait.
C’est difficile de parler de cette journée. D’abord parce que je ne suis pas sure encore d’avoir absorbé les émotions ressenties sur place. Il y a des lieux ainsi faits qu’ils vous parlent. Bien sûr, comme toute élève du système éducatif français, j’ai étudié l’Holocauste. Bien sûr, j’ai vu Nuit et Brouillard, Shoah, Les Uns et les Autres, lu Elie Wiesel – pas encore Si c’est un homme de Primo Lévy, il m’attend sagement depuis quelques années, comme la Liste de Schindler, je deviens plus émotive avec l’âge. J’ai même visité Dachau l’été 88 (ça ne me rajeunit pas…) lors d’un de ces séjours linguistiques en Allemagne que je faisais tous les étés, première langue oblige.
L’organisation du Mémorial est vraiment très bien faite : les accompagnateurs et guides sont très cultivés sur le sujet, ont su répondre à de nombreuses questions (même si le charter prend près de 150 personnes, nous étions divisés en 3 groupes pour la journée sur place, donc l’accès aux guides était facilité), et ont même facilité les échanges entre nous ; le moment de recueillement était simple, émouvant, mais pas pesant ; la logistique était très rôdée (et je m’y connais en organisation de voyage de groupe…) ; bien sûr, certains autres voyageurs n’étaient pas à la hauteur, du genre à prendre des photos et parler fort même dans les salles où cela était carrément interdit (certaines salles étant dédiées au recueillement, ou au respect des victimes, quand elles contiennent par exemple ce qu’il restait des effets personnels des derniers déportés arrivés juste avant la libération du camp). Mais cela, personne n’en est responsable ; les gens, ma brave dame, les gens…
Bien sûr, la journée par -10° à -15° est éprouvante physiquement ; d’ailleurs, le Mémorial assume de ne proposer ces voyages qu’en hiver. Une demande des survivants qui ont contribué à la mise en place de ces voyages (et dont certains accompagnent encore de temps en temps). Une facilité aussi, car les sites sont beaucoup moins visités à cette période de l’année. Le réveil à 4h du matin n’est pas reposant non plus. Ni les 4 et quelques kms parcourus à pied sur les 2 sites dans la journée. Mais c’est surtout la fatigue émotionnelle qu’on ressent le plus. Ces salles qui présentent les effets personnels dont je parlais plus haut. Les photos retrouvées dans une valise (2 500 photos, impossible de dire comment elles sont arrivées là, si c’était un déporté qui les avait apportées, dépositaire de toute la mémoire de sa communauté, ou si les prisonniers « Canada », responsables du traitement des bagages après la sélection, les avaient doucement mais sûrement préservé au fur et à mesure de leurs trouvailles). Les photos des bébés de la salle consacrée aux déportés français. Les 1950 kgs de cheveux trouvés sur le site à la libération du camp. La pile de lunettes. Je ne parlerai pas des layettes, j’avais lâché le groupe à ce moment-là, les châles de prière m’avaient trop bouleversée.
Bien sûr, on ne recommande pas un dimanche à Auschwitz comme on le fait d’un week-end au vert. Je ne suis même pas sure qu’on puisse le recommander tout court. Il s’agit d’une démarche infiniment personnelle qui appartient à chacun, et d’ailleurs nombre de gens à qui nous en avons parlé avant notre départ nous ont dit ne pas « sentir » le faire. Car il faut y aller les yeux ouverts ; c’est très éprouvant.
Mais on ne regrette rien. Et dans une quinzaine d’années, si Bébé le sent lui aussi, j’y retournerai sans doute avec lui. Mais pas avant.
Si ça vous intéresse, les infos pratiques, c’est ici (pour l’instant sur les voyages qui viennent de se terminer, plus d’infos sans doute pour l’année 2014 bientôt)